Performance : quand le ressenti est trompeur


Sur le terrain, le corps parle… mais que dit-il vraiment ?

Au portillon de départ ou au point de penalty, le cœur s’accélère, la respiration s’intensifie et les mains deviennent moites. Est-ce de la peur ou de l’excitation ? Le signal physiologique est le même, mais l’interprétation peut diverger. Dans le sport, chacun l’a vécu : ressentir n’est pas la vérité. Autrement dit, le ressenti constitue une information utile, mais il ne suffit pas à lui seul pour décider d’un échauffement, ajuster une stratégie ou valider une sélection.

Le ressenti est influencé par mille facteurs : n’en fais pas une certitude

Aucune sensation, agréable ou désagréable, n’est “pure”. Elle se mélange au sommeil de la veille, à l’alimentation, à la météo, au voyage, à la pression du public, au contexte de sélection, parfois même à une simple notification ou au récit intérieur que l’on se fait avant d’entrer en jeu. Le ressenti capte donc une part de vérité, mais pas toute la vérité. C’est précisément pour cette raison qu’il ne faut jamais transformer une sensation en verdict. Dire « je me sens bien » ne garantit pas la performance à venir, tout comme dire « je me sens lourd » n’annonce pas nécessairement l’échec. Le ressenti sert de point de départ : on l’accueille, puis on le replace dans un cadre plus large en recoupant d’autres sources d’information.

personnage qui exprime la peur par des éclats de verre

Ce que “valider” signifie concrètement en sport

Dans ce contexte, valider ne veut pas dire atteindre la certitude absolue. Valider, c’est obtenir une convergence suffisante pour agir sans se tromper grossièrement. Cette convergence repose sur trois plans qui, idéalement, vont dans le même sens :

  1. Le corps, c’est-à-dire ce que l’athlète perçoit de son état (énergie, tension, douleur, disponibilité mentale).
  2. Les repères objectifs, autrement dit les mesures utiles à la situation (allures, puissance, fréquence cardiaque, charge, qualité du sommeil).
  3. Le geste et le jeu, c’est-à-dire ce que l’œil du coach observe réellement (coordination, timing, précision, réactivité face à l’adversaire).

Lorsque ces trois plans s’alignent, la décision est solide. Lorsqu’ils divergent, il devient raisonnable d’ajuster la manière de faire (rythme, consigne, rôle, repère technique), puis d’observer l’effet de cet ajustement à l’échelle de la séance, de la mi-temps ou de la course.

Passer du « je sens » au « j’agis »

La bonne démarche consiste d’abord à accueillir le ressenti sans le sacraliser ; elle se poursuit en le reliant à deux ou trois repères objectifs directement pertinents pour la situation ; elle se prolonge par une observation précise du geste et de la réponse au jeu, parce que c’est là que se lit la vérité sportive de l’instant. Elle se conclut par une décision mesurée : on ne change qu’une seule variable à la fois et l’on vérifie si cette modification améliore effectivement l’exécution. Cette méthode évite deux écueils symétriques : d’une part, l’illusion de contrôle fondée exclusivement sur la sensation ; d’autre part, le fétichisme des chiffres détachés du contexte et du vécu.

Exemple — VTT de descente (DH). Le rider se dit « lourd » sur le haut du tracé. Plutôt que d’en faire une certitude, il confronte cette impression à des repères simples : les temps intermédiaires. La vidéo au ralenti met en évidence une tension des bras, un torse qui se relève et un regard trop court, signes d’une protection plutôt que d’un engagement fluide. La décision reste volontairement minimaliste : sur la manche suivante, le pilote accueille la possibilité d’une peur (sans la nier ni la dramatiser), avance son regard de deux portes et décale son repère de freinage d’un mètre, sans toucher au matériel. Au contrôle, le temps intermédiaire 1 progresse de quelques dixièmes, la vitesse se stabilise et la trajectoire demeure propre. Si cette amélioration se confirme au run suivant, l’ajustement est validé ; sinon, on ne change qu’une autre variable et l’on réévalue.

Ce cadre désamorce les fausses alertes (une mauvaise sensation ne condamne pas la séance) et limite les emballements trompeurs (une bonne sensation n’autorise pas toutes les prises de risque). Il réhabilite l’écoute du corps sans la transformer en verdict, et il remet les données à leur place : des repères au service du jeu, jamais des juges. Surtout, il renforce une confiance lucide : l’athlète sait ce qu’il ressent, comprend ce que ses repères disent réellement et décide avec son staff sur des bases cohérentes et révisables.

Retenons ceci : le ressenti est un signal qui oriente, mais la validation vient lorsque trois éléments racontent la même histoire : ce que l’on sent, ce que montrent les repères, et ce que produit le geste dans le jeu. Si ces trois plans convergent, on avance sans se disperser ; s’ils divergent, on n’oppose pas le corps aux chiffres, on ajuste une variable, puis on regarde l’effet sur le terrain avant de décider la suite. Ainsi, on respecte le corps sans sacraliser la sensation, on utilise les données sans s’y soumettre, et l’on laisse le jeu trancher.

Recomplexifier sans perdre la lisibilité

Ce que nous avons simplifié s’appuie sur des mécanismes robustes. L’activation corporelle pré-performance est largement similaire entre peur et excitation ; c’est l’interprétation qui fait basculer l’efficacité du geste. Le cerveau, par défaut, confirme ses impressions ; il faut donc des contre-repères pour garder l’équilibre. Les rituels aident lorsqu’ils restent flexibles et liés à la tâche ; ils enferment lorsqu’ils deviennent des conditions non négociables. En reconnaissant ces ressorts, on conserve la simplicité de l’action et la profondeur du réel : on n’oppose plus le corps aux chiffres, on organise leur dialogue au service du jeu, ici et maintenant.

Résumé en deux phrases

Le ressenti est une alerte qui attire l’attention, jamais un verdict.

En sport, la validation d’une décision naît de la convergence entre sensations, repères objectifs et observation du geste dans le jeu.

article : Interpréter l’activation : de l’“anxiété” à l’“excitation” (reappraisal)
Étude expérimentale montrant qu’un même état physiologique peut être requalifié (et améliorer la perf). C’est exactement l’idée « même signal, lectures différentes »