Fétichisme ou routine du sportif : où se situe la frontière ?
Dans le monde du sport, chaque athlète développe ses habitudes, ses rituels, voire ses petits “gris-gris” avant une compétition. Mais jusqu’où ces pratiques relèvent-elles d’une routine mentale bénéfique et à partir de quand deviennent-elles une dépendance psychologique ou un fétichisme sportif ?
Comprendre cette différence est essentiel pour préserver un équilibre mental et une performance durable.
La routine du sportif : un pilier de la performance
La routine sportive est un ensemble d’habitudes et de gestes répétés avant, pendant ou après l’effort. Elle agit comme un ancrage psychologique qui permet à l’athlète de se concentrer, de réduire le stress et de déclencher automatiquement un état optimal de performance.
Exemples :
- Le cycliste qui ajuste toujours son casque avant de monter sur le vélo.
- Le tennisman qui rebondit trois fois la balle avant chaque service.
- Le coureur qui écoute la même playlist pour “entrer dans la zone”.
Ces comportements ritualisés apportent de la stabilité et renforcent le sentiment de contrôle. Ils font partie intégrante de la préparation mentale : une routine bien construite sécurise, rassure et favorise la confiance.
En psychologie du sport, la routine est un outil stratégique au service de la performance. Elle structure le mental, pas l’inverse.
Le fétichisme du sportif : quand le rituel devient une dépendance
Le fétichisme sportif, lui, dépasse la simple habitude. Il repose sur la croyance irrationnelle qu’un objet, un geste ou une circonstance extérieure détermine le résultat de la performance.
On ne parle plus de préparation mentale, mais de superstition.
Exemples :
- Le joueur qui refuse de concourir sans ses “chaussettes porte-bonheur”.
- L’athlète persuadé que changer de boisson avant la course portera malchance.
- Le footballeur qui pense qu’il perdra s’il ne met pas sa chaussure gauche avant la droite.
Ces comportements ne sont plus des repères, mais des contraintes psychologiques. Ils traduisent une perte de confiance en soi et en ses compétences, car la réussite semble dépendre d’un élément externe plutôt que du travail ou de la préparation.
En psychologie du sport, on parle alors de ritualisation anxieuse : le geste ne sert plus la performance, il sert à calmer la peur.
Comment distinguer routine et fétichisme ?
Critère | Routine | Fétichisme |
---|---|---|
Objectif | Structurer la performance | Rassurer contre l’incertitude |
Contrôle | L’athlète contrôle le geste | L’objet ou la superstition contrôle l’athlète |
Conséquence si interrompue | Légère gêne, mais adaptation possible | Stress, angoisse, sentiment d’échec |
Fonction psychologique | Concentration, confiance, stabilité | Dépendance, peur, perte de maîtrise |
Une routine est fonctionnelle, un fétichisme est obsessionnel.
Comment entretenir une routine saine ?
- Donner du sens à chaque geste : comprendre pourquoi on le fait.
- Tester la flexibilité : s’autoriser à modifier ou sauter un rituel sans panique.
- Centrer la confiance sur soi, pas sur un objet.
- Accompagner par un préparateur mental ou psychologue du sport pour affiner la gestion du stress et des croyances limitantes.
En conclusion
De la routine au fétiche : penser en continuum
Routine ou fétichisme ? La frontière n’est ni nette ni stable. Dans la réalité du terrain, il existe plutôt un continuum où un geste utile peut, avec le temps et la pression, glisser vers une ritualisation plus rigide, puis vers une superstition contraignante si l’athlète finit par attribuer sa performance à un facteur externe. La question n’est donc pas de traquer le « bon » ou le « mauvais » rituel, mais d’évaluer, au fil des saisons, ce que fait ce geste à la performance et à la liberté de l’athlète.
Trois repères aident à rester du bon côté : la fonction (sert-il la tâche — attention, timing, coordination — ou seulement à calmer l’angoisse ?), la flexibilité (puis-je l’adapter ou l’omettre sans me désorganiser ?), et le coût en cas d’empêchement (simple gêne, ou panique et évitement ?). Tant que le rituel demeure au service du geste, qu’il se laisse déplacer et qu’il ne pèse pas sur la décision, il reste une routine saine. Lorsqu’il devient condition non négociable et absorbe la maîtrise, il emprisonne la performance plus qu’il ne la protège.
Autrement dit, le but n’est pas d’éradiquer les rituels, mais de les habiter lucidement. Un collectif (coach, staff, athlète) peut régulièrement réinterroger ces habitudes : que m’apporte ce geste aujourd’hui ? Que se passe-t-il si je le modifie ? Qu’est-ce que je gagne à le simplifier ? Cette hygiène de sens permet de conserver l’ancrage sans tomber dans l’illusion de contrôle. Entre le besoin de repères et le risque de dépendance, la meilleure ligne est celle qui préserve le plaisir d’agir et la capacité d’ajustement — là où la performance respire.